Bruxelles, le 16 d ¨¦cembre 2002
Madame la Ministre, Monsieur le Pr¨¦sident, Mesdames et Messieurs,
Je voudrais tout d'abord remercier Mme Dupuis d'avoir pris l'initiative de cette conf¨¦rence consacr¨¦e ¨¤ la carri¨¨re des chercheurs. Il s'agit d'une question importante, qui a b¨¦n¨¦fici¨¦ au cours des derniers mois d'une attention croissante au niveau des Minist¨¨res de la Recherche et de la Commission.
Comme vous la savez, la Commission europ¨¦enne vient de lancer son 6¨¨me Programme-cadre de recherche, qui consacre pour la premi¨¨re fois pr¨¨s de 10 % de son budget aux ressources humaines et ¨¤ la mobilit¨¦, soit 1,6 milliards d'€.
Cette augmentation n'est pas fortuite. Elle refl¨¨te une approche nouvelle, bas¨¦e sur une prise en compte r¨¦solue
- de la ¨¤ l'¨¦volution de nos soci¨¦t¨¦s, notamment en termes de contribution des chercheurs cr¨¦ation d'emplois et de comp¨¦titivit¨¦
- de l'importance des ressources humaines de la recherche pour augmenter l'attractivit¨¦ de l'Union europ¨¦enne comme un des p?les mondiaux de la recherche pour les scientifiques de tous les continents
- du r?le d¨¦terminant de la formation et de la mobilit¨¦ pour la mise en oeuvre de l'Espace europ¨¦en de la Recherche, autrement dit: du march¨¦ unique de la recherche que nous appelons de nos voeux.
Ces obstacles sont de nature juridique (non reconnaissance des dipl?mes, diff¨¦rences dans les bar¨¨mes fiscaux ou dans les syst¨¨mes de s¨¦curit¨¦ sociale, probl¨¨mes li¨¦s ¨¤ la transf¨¦rabilit¨¦ des droits en mati¨¨re de pensions etc.), mais ¨¦galement de nature socio-culturelle ( absence de structures d'accueil, dispersion de l'information, probl¨¨mes li¨¦s au retour des chercheurs dans leur universit¨¦ ou leur laboratoire apr¨¨s une p¨¦riode de mobilit¨¦). Ces obstacles expliquent en partie la fuite des cerveaux qui demeure importante dans certains pays et dans certains secteurs.
Face ¨¤ cette situation, la Commission europ¨¦enne, en coop¨¦ration ¨¦troite avec les Etats membres et les pays candidats, a pris un certain nombre d'initiatives urgentes afin d'am¨¦liorer l'environnement des chercheurs en Europe:
- Un portail Internet sera lanc¨¦ au printemps 2003 visant ¨¤ donner une information cibl¨¦e sur les l¨¦gislations, les opportunit¨¦s de financement et les vacances d'emploi
- Un r¨¦seau europ¨¦en de centres de mobilit¨¦ sera ¨¦galement cr¨¦¨¦ au premier semestre de l'ann¨¦e prochaine pour assurer une assistance personnalis¨¦e aux chercheurs et ¨¤ leurs familles.
Plusieurs consid¨¦rations doivent ¨ºtre mentionn¨¦es ¨¤ ce propos:
- Premi¨¨rement, il n'existe pas en Europe de d¨¦finition commune de ce qu'est un chercheur . Cette situation n'est pas le r¨¦sultat d'un manque de convergence au niveau des Etats membres: ¨¤ l'int¨¦rieur-m¨ºme des Etats, des statuts diff¨¦rents r¨¦gissent en effet souvent les chercheurs des secteurs public et priv¨¦. Dans la prise en compte des bar¨¨mes, notamment en mati¨¨re de s¨¦curit¨¦ sociale, les chercheurs sont assimil¨¦s, selon les pays ou les secteurs, tant?t ¨¤ des ¨¦tudiants, tant?t ¨¤ des ind¨¦pendants, tant?t ¨¤ des travailleurs qualifi¨¦s. Cette situation explique ¨¦galement l'absence inqui¨¦tante de statistiques fiables en la mati¨¨re, notamment en termes de flux de mobilit¨¦.
- Mais au-del¨¤ de ?a, c'est toute la question de la visibilit¨¦ sociale des chercheurs qui se pose. Tout le monde sait en Europe ce qu'est et ce que fait un m¨¦decin, un avocat, un ing¨¦nieur, et tout ce qui entoure cette perception en termes de visibilit¨¦ ou de reconnaissance sociale. Tel n'est pas le cas pour les chercheurs. Je dirais m¨ºme qu'en termes d'image, la vision demeure largement st¨¦r¨¦otyp¨¦e : Une enqu¨ºte de la Commission a r¨¦v¨¦l¨¦, l'ann¨¦e derni¨¨re, la p¨¦rennit¨¦ des clich¨¦s qui entourent la profession (on devrait peut ¨ºtre dire: les professions ) du chercheur ce dernier ¨¦tant souvent per?u comme quelqu'un d'isol¨¦, de solitaire, de confin¨¦ dans l'atmosph¨¨re aust¨¨re d'un laboratoire.
Cette r¨¦alit¨¦, que la satisfaction intellectuelle procur¨¦e par la recherche scientifique ne parvient plus ¨¤ compenser ¨¤ elle seule, explique que dans certains pays Pays Bas et Allemagne notamment-, jusqu'¨¤ 40 % des jeunes doctorants abandonnent une carri¨¨re en Europe durant la phase cruciale du passage entre le doctorat et le premier emploi , soit qu'ils se dirigent vers des fonctions plus lucratives, soit qu'ils pr¨¦f¨¨rent exercer leur recherche dans d'autres continents.
Cette ¨¦volution n'augure rien de bon quant ¨¤ la capacit¨¦ de l'Europe d'assurer ¨¤ l'avenir, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, des ressources humaines capables de relever les nouveaux d¨¦fis de la mondialisation.
C'est l¨¤ que le travail que vous avez initi¨¦ prend toute sa valeur, dans la mesure o¨´ il s'agit d'une des premi¨¨res r¨¦flexions d'ensemble sur la carri¨¨re des chercheurs en Europe, en int¨¦grant les diff¨¦rents aspects de la probl¨¦matique et une large couverture g¨¦ographique.
En appui au document de travail qui a servi de base aux discussions de la conf¨¦rence, je voudrais apporter quelques r¨¦flexions compl¨¦mentaires, vues sous l'angle de la Commission;
- La premi¨¨re est que nous ne pouvons concevoir une r¨¦flexion sur l'avenir de la recherche en Europe sans d¨¦velopper une s¨¦rie d'actions r¨¦solues afin de stimuler l'environnement des chercheurs aux diff¨¦rentes ¨¦tapes de leur carri¨¨re. Cette r¨¦flexion et cette action doivent ¨ºtre men¨¦es ¨¤ tous les niveaux: local, r¨¦gional, national et europ¨¦en.
Cette prise en compte constitue probablement la nouveaut¨¦ la plus significative du programme sp¨¦cifique du 6¨¨me programme-cadre consacr¨¦ aux Ressources humaines et ¨¤ la mobilit¨¦. La disparition de toute r¨¦f¨¦rence aux limites d'?ge permet en effet de d¨¦velopper une strat¨¦gie d'appui aux chercheurs qui se situe au plus pr¨¨s de leurs besoins et de leurs pr¨¦occupations, aux diff¨¦rentes ¨¦tapes de leur carri¨¨re.
En sch¨¦matisant quelque peu, les actions Marie Curie seront dor¨¦navant ¨¦chelonn¨¦es entre les formations au sein de structures d'accueil pour des jeunes chercheurs, m¨ºme doctorants, d'une part, et le financement de la constitution d'¨¦quipes internationales pour la mise en oeuvre de projets scientifiques de premier plan (les primes d'excellence)-, de l'autre.
Aujourd'hui, ce n'est plus l'?ge qui d¨¦termine le soutien financier, mais l'exp¨¦rience du chercheur et les besoins sp¨¦cifiques qu'il ou elle peut d¨¦velopper ¨¤ tout moment de sa vie professionnelle.
- La deuxi¨¨me observation est qu'aucune avanc¨¦e dans le domaine de la recherche en Europe ne peut se concevoir aujourd'hui sans la prise en compte de la valeur ajout¨¦e europ¨¦enne, que ce soit en termes d'infrastructures, de r¨¦seaux, de d¨¦cloisonnement des structures nationales. Tel est l'objectif de l'Espace europ¨¦en de la Recherche, qu'une Communication r¨¦cente de la Commission vise ¨¤ approfondir et ¨¤ acc¨¦l¨¦rer.
C'est la raison pour laquelle nous devons intensifier le travail entrepris jusqu'¨¤ pr¨¦sent pour am¨¦liorer le cadre juridique dans laquelle cette mobilit¨¦ peut s'op¨¦rer, que ce soit en termes de conditions d'entr¨¦e, de s¨¦curit¨¦ sociale ou de fiscalit¨¦.
Il ne s'agit pas ici de chercher ¨¤ d¨¦velopper ¨¤ tout prix un statut commun du chercheur cette t?che serait par d¨¦finition extr¨ºmement ardue, dans la mesure o¨´ la plupart de ces mati¨¨res continuent de relever de la comp¨¦tence des Etats membres, au titre de la subsidiarit¨¦. Mais des efforts s¨¦rieux doivent ¨ºtre entrepris pour d¨¦velopper et parfaire le travail entrepris pour reconna?tre la sp¨¦cificit¨¦ des chercheurs dans les prises de d¨¦cision communes, ¨¤ partir notamment de l'identification et de la diss¨¦mination des bonnes pratiques.
La dynamique de concertation d¨¦velopp¨¦e actuellement autour de la facilitation des conditions d'entr¨¦e des chercheurs ¨¦trangers, qui devrait d¨¦boucher ¨¤ terme sur la proposition de cr¨¦er un titre de s¨¦jour unique au niveau europ¨¦en, constituerait une premi¨¨re ¨¦tape importante dans la mise en oeuvre d'un environnement plus favorable aux chercheurs en Europe et, partant, dans la d¨¦finition de perspectives plus favorables en termes de carri¨¨re et de valorisation.
- Tous les acteurs de la recherche doivent immanquablement ¨ºtre parties prenantes au d¨¦veloppement de cette valeur ajout¨¦e europ¨¦enne. Et je pense notamment ici au r?le des universit¨¦s. Trop de chercheurs h¨¦sitent encore ¨¤ entreprendre une formation ou une exp¨¦rience dans un autre pays par peur de la situation ¨¤ laquelle ils devront faire face ¨¤ leur retour. Sans oublier que, dans de nombreux pays, les p¨¦riodes de formation ou de mobilit¨¦ entreprises dans d'autres pays ne sont pas n¨¦cessairement prises en compte dans le calcul des pensions ou des promotions.
- Des consid¨¦rations similaires s'appliquent, enfin, ¨¤ un autre domaine de la mobilit¨¦, auquel votre conf¨¦rence consacre un important volet, ¨¤ savoir la mobilit¨¦ inter-sectorielle.
- Cette situation r¨¦sulte tout d'abord de causes structurelles: moins de la moiti¨¦ des chercheurs et des ing¨¦nieurs travaillent aujourd'hui dans le secteur priv¨¦ de la recherche en Europe, alors qu'ils sont 80 % aux Etats Unis et 70 % au Japon.
Ce n'est pas un hasard d¨¨s lors si, parmi toutes les cat¨¦gories d'obstacles sur lesquels s'est pench¨¦ le Groupe d'Experts de Haut Niveau constitu¨¦ en mars 2000, suite au Conseil europ¨¦en de Lisbonne, la mobilit¨¦ inter-sectorielle est, pr¨¦cis¨¦ment, celle pour laquelle les experts sont demeur¨¦s les plus vagues, en termes de recommandations. Tr¨¨s peu de pays l'Irlande et, dans une moindre mesure, la Finlande -, disposent de taux de r¨¦ussite significatifs dans ce domaine.
- Cette situation est pr¨¦occupante, car elle pourrait entraver la mise en oeuvre de l'objectif que nous nous sommes fix¨¦ au Conseil europ¨¦en de Lisbonne, de consacrer 3 % de notre PIB ¨¤ la recherche en 2010, les deux-tiers de cet investissement ¨¦tant ¨¤ r¨¦aliser au niveau du secteur priv¨¦.
Je me r¨¦jouis ¨¦galement que certains Etats membres, comme les Pays Bas ou l'Irlande, aient introduit r¨¦cemment des programmes visant ¨¤ stimuler cette forme de mobilit¨¦, particuli¨¨rement dans le sens industrie -> universit¨¦, o¨´ la coop¨¦ration demeure particuli¨¨rement d¨¦ficiente.
Madame la Ministre, Monsieur le Pr¨¦sident, Mesdames et Messieurs,
La question de la profession des chercheurs et de l'am¨¦lioration des conditions de la carri¨¨re des chercheurs en Europe constitue, on le voit, un tr¨¨s large terrain d'investigation, qui commence seulement aujourd'hui ¨¤ ¨ºtre explor¨¦ de mani¨¨re syst¨¦matique. Il renvoie en effet ¨¤ toute une s¨¦rie de consid¨¦rations qui touchent ¨¤ notre attractivit¨¦ et ¨¤ notre comp¨¦titivit¨¦ futures.
La Commission est extr¨ºmement sensible ¨¤ ces d¨¦veloppements. C'est la raison pour laquelle je puis vous annoncer que dans la ligne de la conf¨¦rence de ce jour, je compte proposer ¨¤ mes coll¨¨gues Commissaires, en juin 2003, d'adopter une Communication sur la carri¨¨re des chercheurs, qui int¨¦grerait une s¨¦rie de propositions concr¨¨tes pour am¨¦liorer les perspectives de carri¨¨re en Europe.
Cette ¨¦volution est essentielle, car ce sont les ressources humaines qui sous-tendent dans une large mesure la r¨¦alisation des objectifs politiques ambitieux que nous nous sommes fix¨¦s, et notamment de faire de l'Espace europ¨¦en de la Recherche l'¨¦conomie de la connaissance la plus comp¨¦titive et la plus dynamique au monde, d'ici 2010.
Les propositions que nous formulerons tous ensemble constitueront ¨¤ cet ¨¦gard la base pour que l'Espace europ¨¦en de la Recherche soit aussi et peut ¨ºtre surtout un espace europ¨¦en pour les chercheurs.
DN: Date: 16/12/2002